COMME un cosmonaute qui descend de son Lem, Jean-Michel Jarre, un mois et demi apres son retour de Chine, est encore « sonné ». Mais avec les soixante personnes qui accompagnaient le premier groupe occidental à s’être prpduit en Chine, il a reçu le choc de deux civllisations aux concepts et à la philosophie si différents, si éloignés; qu’eIles évoquent I’une pour I’autre bien des mystères et suscitent bien des fascinations. Grâce à lui une porte s’est entrebâillée à un échange culturel plus fréquent. Les Chinois aimaient Brahms. Après Beethoven et Ravel, Jean-Michel Jarre est leur dernier musicien connu. Pour ceux qui n’ont pas suivi son étunnante odyssée au pays du lotus bleu, Jean-Michel Jarre prépare une carte postale musicale, Un double album. Un livre et un film.
Sensible
De la cave de sa maison de Bougival, dans son studio d’enregistrement, l’archange du synthétiseur mixe jour et nuit. Dans son shaker, électronique, il module le dosage exact des meilleurs.moments de ses concerts de Pékin et de Shangai Il y coule les sons des pousse-pousse bien huilés, les claquements de baguettes, des rires de petites filles A nattes d’ébène, pour nous offrir un cocktail explosif couleur rose, jaune et vert pastel comme le ciel, la terre et les maisons de 1à-bas. Il se nommera « La. Chine selon Jean-Michel Jarre » et il risquera de faire tourner nos têtes. Alors qu’Elton John, les Rolling Stones, les Pink F1oyd trépignaient de desir de donner des concerts au pays de Mao se sont cassé dix fois les dents sur une muraille de refus, Jean-Michel Jarre s’est armé d’une patience orientale pour dérocher sa lune. Durant trois ans, au cours de trois voyages. Lea Chants magnétiques, Equinoxe, Oxygène, un petit synthétiseur sous le bras, il a donné des conférences et des mini-concerts dans les universités et au conservatoire de musique de Shangaï et, miracle, il a fini par magnétiser les autorités. Elles lui ont dit oui. Alors, les publicitaires chinois ont conçu une campagne : les murs de Pékin et de Shangaï, quelques semaines avant le grand événement, se sont couverts d’affiches. On y voit Jarre, le romantique, au clavier électronique, inspiré, la Tour Eiffel flirter avec la , Grande Pagode. Puis, Jean-Michel Jarre a préparé ses concerts : « Je ne , voulais pas donner des représentations banales, jouer mes morceaux et au revoir. J’ai composé de nouveaux morceaux et j’ai répété avec un orchestre symphonique de trente-quatre musiciens , chinois. » A sa symphonie synthétique se mêlent violons à deux cordes, luths et flûtes chinoises. Un point sensible de plus a été touché et le Tibétain Panchen Lama Erdeni, vice-président de l’ Assemblée nationale populaire, choisi par Deng Xiao Plng pour le représenter , il en pleure de jole. II n’était jamals apparu en public depuis qulnze ans… Une grande partie des spectateurs, est venue à blcyclette et a payé sa place l’équivalent d’une semaine de salaire. L ‘assistance débordé d’enthouslasme, tape des mains, danse, saute, en réclame encore. Et Jarre, qui va jouer avec un petit synthétiseur dans la foule, est énergiquement reconduit sur scène. Simultanément, à la radio, cinq-cents millions d’auditeurs, cent trente millions de téléspectateurs, voient l’immense spectacle aux lasers. C’est la rencontre de deux mondes, la séduction, l’enthousiasme, le délire. Jarre est devenu une idole en Chine. Si Jean-Michel Jarre est « sonné », c’est parce qu’il a vécu là-bas une drôle de relation avec le temps. J’al vu un malade transportéo par sa famllle en charrette à l’hôpital pour se falre opérer au laser, Au bout de deux jours, nous avions ôté de nus poignets nos montres. Là-bas, le temps coule doucement.
Une longue convalescence
Après dix ans de Persécution la Chine est encore meurtrie d’une révolution culturelle qui broyait les doigts des pianistes, brûlait les pianos, bannissait tout ce qui était étranger parce que décadent. Elle se relève aujourd’hui d’une longue convalescence. Sous Mao, sept disques que tous connaissaient par coeur étaient autorisés, inspirés de la musique traditionnelle. Sous la « Bande des quatre », tout ce qui était ancien devenait féodal, étranger , bourgeois. Le conservatoire de muslque de Shanghaï qui a été fermé pendant sept ans se ranime aujourd’hui. Quatre cents professeurs et huit cents élèves y jouent Brahms, Beethoven, Chopin. Dans certaines pagodes, avec les vapeur du saké et le fumet des rouleaux de printemps, le goût aigre-doux d’une vie tissée de pureté, de courage et de recueillement, filtre à travers les paravents, de la chaîne stéréo, le. Boléro de Ravel… En fixant l’équinoxe d’or, un paysan s’en va aux champs avec sous son chapeau rond un walkman que son cousin lui a ramené de Hong-Kong. Son pas est rythmé par Les Champs magnétiques. C’est Jarre qui lui a donné la cassette.
Catherlne DELMAS