06/06/2013

Jean-Michel Jarre: "Il n'y a pas d'un côté les bad guys du web, de l'autre les artistes victimes"

Raphaële Karayan - publié le 06/06/2013

Jean-Michel Jarre, élu président du Cisac, veut réconcilier les artistes avec les géants du web.
REUTERS/Jean-Paul Pelissie

Jean-Michel Jarre a été élu président de la Cisac, un important lobby international du droit d'auteur. Pour lui, il faut cesser d'opposer le monde des artistes qui serait sclérosé à celui de Google qui serait le seul visionnaire. Entretien.



Jean-Michel Jarre vient d'être élu président de la Cisac, la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs, le réseau mondial qui rassemble les sociétés de gestion collective nationales comme la Sacem en France. Le musicien français était cette semaine à Washington pour le quatrième Sommet Mondial des Créateurs, qui réunit artistes, sociétés d'auteurs et représentants des différentes industries culturelles (musique, édition, peinture, sculpture...) et aborde notamment la problématique du droit d'auteur dans l'économie numérique. Nous l'avons interrogé sur le sens de son engagement et sa vision des problèmes actuels.

Quels sont les messages que vous allez porter en tant que nouveau président de la Cisac?

 

Il y a une telle confusion sur tous les plans entre le monde de la création et les nouveaux acteurs d'internet qu'il est temps de réussir à porter le débat d'une autre manière, dans tous les arts, pas seulement la musique et le cinéma, et aussi sur le plan mondial, pas seulement en Europe et aux Etats-Unis. Il faudrait déjà parler de l'exception de la culture, pas de l'exception culturelle. Et le débat ne se réduit pas aux droits d'auteur. Par exemple, les pays en voie de développement sont confrontés tous les jours au pillage intellectuel et artistique. C'est le cas du design dans les Iles Fidji, ou des arts visuels en Afrique qui sont pillés par le monde de la publicité et de la mode, par exemple. On s'aperçoit que tout cela dépasse largement les droits musicaux sur YouTube! Je pense qu'il est un peu primaire et rapide de dire qu'il y a d'un côté les "bad guys", qui sont représentés par internet, et de l'autre les victimes, les gens de la création. Il ne faut pas non plus considérer que les seuls visionnaires sont les créateurs de téléphones, alors que les artistes sont l'ancien monde.

Quels seront les principaux objectifs du lobbying politique qui fait partie des activités de la Cisac?

 

Le rôle des vice-présidents (Angélique Kidjo, Ousmane Sow...) est important, notamment pour représenter les pays du Sud. Il faut arriver à avoir une réflexion globale et organisée des lobbys dans chaque pays, afin qu'il puisse y avoir une véritable mobilisation quand il y a un problème. Face à des acteurs mondiaux, il faut une réponse mondiale.

Quel est votre regard sur les discussions relatives à l'accord de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis, dans lequel l'inclusion de l'exception culturelle est âprement débattue?

 

La France a toujours été parmi les premiers pays à se lever pour trouver des éléments de réponse pour une économie durable de la création. Je suis là pour contribuer à généraliser cette voix française. Je suis en contact avec la rapporteure au Congrès américain sur la nouvelle loi du copyright, elle comprend cela très bien. Il faut mettre une éthique et une morale dans le système, qui génère des dizaines de millions d'emplois. Les réponses doivent être internationales. La France a toujours donné un exemple positif.

Comme Hadopi par exemple?

 

Hadopi est d'une certaine manière un accident de parcours. Ce sont les mêmes qui avaient inventé les radios pirates et qui ont voulu mettre les pirates en prison. L'aspect coercitif était très discutable, cependant la loi a été plutôt importante, au plan symbolique. Hadopi a eu son mérite, maintenant il faut passer à autre chose. Le fond, c'est de cesser d'opposer les artistes assis sur leurs acquis aux grands méchants Google et YouTube.

Quelle est la tendance dans le monde en matière de lutte contre le piratage : plutôt orientée vers les sites qui en font une activité lucrative, comme on l'a vu avec Megaupload, et moins viser les consommateurs?

 

La lutte contre le piratage est importante, bien sûr, mais la vraie question est plus fondamentale et plus simple : va-t-on se décider à respecter la culture comme une source de développement durable, un peu comme l'environnement ? Notre responsabilité c'est de ne pas avoir su parler d'une seule voix. Il faut porter cette problématique dans la rue. Il ne faut pas être naïf, les politiques ne se mobiliseront qu'à partir du moment où leurs électeurs le seront.

Vous êtes depuis longtemps investi dans le combat pour le droit d'auteur et les nouveaux enjeux posés par internet. Vous avez notamment été porte-parole de l'IFPI de 1998 à 2000, l'époque où on commençait à prendre conscience du piratage. Avez-vous changé de vision sur ces questions depuis?

 

Le problème de la relation de la création à l'argent a toujours été ambigu, difficile, compliqué. Aujourd'hui il est rendu plus compliqué encore par la technologie, qui change tout, mais au fond cela n'a pas changé. Ce qui a changé en dix ans, c'est qu'aujourd'hui tout le monde a compris les problèmes que posaient la copie et le gratuit sur internet, y compris les journalistes, qui sont concernés. Ma conviction, aujourd'hui, c'est qu'il s'agit d'un véritable enjeu sociétal. C'est pourquoi ces questions devraient avoir la même exposition dans les médias que le mariage pour tous !

En tant qu'artiste, quelle est votre expérience du web et de la meilleure façon de l'utiliser pour diffuser sa création?

 

Ma musique étant étroitement liée à l'électronique, j'ai toujours accueilli ces évolutions avec joie. Le conseil que je donnerais à quelqu'un qui démarre aujourd'hui, c'est de ne pas sur-utiliser internet, Facebook, Twitter..., de ne pas être trop présent. La soif de contenu gratuit assoiffe la créativité. Il faut remettre internet à sa place, comme une télévision, un téléphone. Je pense que les futurs punks prendront le maquis d'internet, pour revenir dans les médias sociaux quand ils auront quelque chose à dire.


Source: lexpress.fr

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