26/09/2014

«Le droit d’auteur concerne tout le monde»

26 septembre 2014

Lisbeth Koutchoumoff

Jean Michel Jarre: «Ma mère a été une résistante pendant la guerre. Elle m’a inculqué le respect de la liberté.» Genève, 23 septembre 2014 (David Wagnières)


Le compositeur de musique électronique Jean Michel Jarre préside la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), qui réunit 3 millions de créateurs de par le monde. Il était invité par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle à Genève. Rencontre
Jean Michel Jarre, l’homme qui a fait des synthétiseurs des instruments planants avec son album Oxygène en 1976, celui qui a lancé dans les années 1980 les méga-concerts avec sons et lumières à Pékin, au Caire, à Gdansk, à Houston et qui collectionne les records du Guinness Book pour le plus grand nombre de spectateurs (2 500 000 à la Défense à Paris en 1990), est aussi un ardent défenseur du droit d’auteur. Président de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), il était à Genève cette semaine, invité par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, pour une table ronde sur les droits des créateurs à l’ère numérique.

Le Temps: Quelles idées voulez-vous défendre au sein de la Cisac?
 
Jean Michel Jarre: Face aux bouleversements induits par Internet depuis une quinzaine d’années, les créateurs n’ont pas été capables d’envoyer un message clair au public. Notre vision a été perçue comme frileuse par rapport aux grands acteurs d’Internet. Au point que l’on a abouti à un paradoxe: les gens qui représentent aujourd’hui la modernité sont des fabricants de câbles et de téléphones et les créateurs sont ceux qui regardent dans le rétroviseur. C’est surréaliste. Ce sont les créateurs qui ont toujours secoué la société.

– Quel est votre message dans ce contexte?
 
– La question du respect du droit d’auteur va bien au-delà d’un simple enjeu économique. Le véritable enjeu est: quelle place voulons-nous accorder aux artistes au XXIe siècle? Leur rémunération, la façon dont ils vont pouvoir vivre ou pas n’est pas une question de niche mais concerne, au contraire, l’ensemble de la société. Est-ce que nous voulons que nos enfants et nos petits-enfants puissent toujours écouter de la musique, voire devenir musiciens eux-mêmes, ou pas? Pourra-t-on toujours lire, écouter, voir des œuvres qui nous émeuvent, nous aident à vivre, questionnent le pouvoir et les habitudes? Les enjeux sont là. C’est en cela que la propriété intellectuelle concerne tout un chacun. Le droit d’auteur est aussi fondamental dans les rapports entre le Nord et le Sud.

– C’est-à-dire? 
 
– L’affaiblissement de la propriété intellectuelle entraîne l’affaiblissement de l’identité culturelle des pays émergents et de toutes les communautés fragiles économiquement. C’est la propriété intellectuelle qui permet à une communauté de développer ses savoir-faire, ses créations, son artisanat, son patrimoine et de ne pas dépendre de la création des autres. Quand le monde de la mode, sans le savoir la plupart du temps, pille les motifs aborigènes ou maoris, sans payer aucun droit sous prétexte que l’on ne connaît pas les auteurs, c’est à chaque fois une communauté que l’on affaiblit. Respecter le droit d’auteur doit pouvoir permettre aux communautés du Sud de ne pas être reléguées au seul statut de consommateurs des biens culturels du Nord. Le problème est éthique et moral.

– Il y a quinze ans, la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) entrait en guerre contre les acteurs du Web, accusés de pirater les œuvres. Elle a intenté procès sur procès. Avec le recul, cette réaction était-elle appropriée?
 
– J’étais à ce moment-là le porte-parole de l’IFPI. Il fallait éteindre un incendie: certains acteurs d’Internet pensaient que le copyright n’avait plus de valeur, qu’il était complètement rétrograde. Il fallait donc réagir rapidement. La réaction certes épidermique de l’IFPI a été très importante pour signifier qu’il y avait un problème. A l’époque, les médias étaient largement du côté des pirates. La tendance était de dire aux créateurs: de quoi vous plaignez-vous? Si vos œuvres sont piratées, elles sont plus largement diffusées!

– On entend toujours ce type d’argument dans le public…
 
– C’est ne pas comprendre que la piraterie tue la création. Le droit d’auteur permet le développement durable des activités artistiques. Il y a quinze ans, le regard porté sur Internet était encore très naïf, presque hippie, c’était un espace merveilleux où chacun se tenait par la main sur le chemin de la libre expression. Face à cela, nous n’avons pas su trouver les mots pour nous faire comprendre. Aujourd’hui, le regard sur Internet a changé, le scandale de la NSA est passé par là. Autre changement, les musiciens sont rejoints maintenant par les créateurs audiovisuels et les journalistes qui voient leurs œuvres utilisées sur des plateformes numériques sans leur accord.

– Aujourd’hui, le streaming par abonnement payant a remplacé le piratage. C’est mieux, non?
 
– Je serai pleinement d’accord avec le système de l’abonnement le jour où je pourrai aussi payer un abonnement mensuel à Carrefour et remplir mon caddie en fonction. Sans les créateurs, les sites de streaming n’existeraient pas. Il faut rappeler aux acteurs du Net que dans les smartphones, la partie smart, ce sont les créateurs!

 Source: letemps.ch

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